// PUBLICATION – CORRIDOR ÉLÉPHANT LA REVUE N.06_1

Revue_01

CORRIDOR ÉLÉPHANT LA REVUE N.06_1

Entre deux images, un souffle
Le diptyque, une horloge secrète

Chaque portrait né de la rencontre devient passage. Dans le projet DIPTYQUE, Clelia Claire Baldo et Piero Viti explorent la photographie comme espace de durée, de dialogue et de pluralité.
Leurs images, toujours par deux, ouvrent une respiration : un battement de temps, une tension entre regards, une mémoire qui dépasse l’instant.
Dans cet entretien, ils évoquent la genèse de leur travail, la place du temps, la complicité qui fonde leur collaboration, et ce qu’ils espèrent transmettre : une vision fragile, mouvante et universelle de l’humain.

Pourquoi avoir choisi de photographier des personnalités publiques?

DIPTYQUE est né dans le prolongement de notre premier projet commun, FATICA, consacré aux artistes du monde de la performance. Cette expérience nous a révélé que la forme du diptyque n’était pas un simple dispositif visuel, mais une nécessité : deux images pour rendre compte de la profondeur d’une rencontre, deux regards pour témoigner d’un même souffle.
Après FATICA, nous avons eu le désir d’élargir ces rencontres à d’autres figures : artistes venus d’autres domaines, amis, visages proches de nos histoires personnelles. Le choix na jamais reposé sur la notoriété. Ce qui nous intéressait, cest la charge symbolique, la mémoire collective ou intime qu’elles portent malgré elles. Chaque personne est traversée par une histoire qui dépasse sa trajectoire singulière : un rôle, une voix, une œuvre, une relation.
Là où l’image médiatique tend à figer, nous cherchons au contraire à rouvrir un espace de respiration. Qu’il s’agisse d’un ami ou d’une figure publique, le portrait devient un lieu de fragilité partagée, où une humanité plus nue peut se dévoiler.
Photographier ces figures, c’est aussi interroger le pouvoir de l’image et tenter d’y inscrire une résonance plus intime, plus universelle.

Le temps semble faire partie intégrante de l’ensemble de votre démarche, comment l’expliquez-vous ?

Le temps est la matière invisible de notre travail. Chaque portrait saisit un instant, mais cet instant porte en lui une mémoire plus vaste : celle du modèle, celle de nos regards, celle du spectateur qui, un jour, croisera l’image. Loin de figer, le portrait devient un lieu où se superposent passé, présent et avenir.
Nous travaillons en diptyque pour ouvrir un espace temporel.
Entre deux images s’installe un battement, un silence, une durée.
Cet intervalle agit comme une respiration qui invite le regard à circuler. Ce n’est pas seulement deux visages qui se répondent, mais la sensation d’un temps vécu, d’un déplacement subtil.
Ainsi, le diptyque devient une horloge secrète – non pas celle des heures, mais celle de l’expérience intérieure. Il mesure la résonance d’un être, les strates qui l’habitent, le passage insaisissable entre l’apparition et la disparition. Le temps n’est pas ici un cadre extérieur, mais une force intime, un fil continu qui traverse chaque image et la prolonge bien au-delà de l’instant photographié.

Comment est née l’évidence d’un travail commun ?

Notre collaboration est née d’un regard partagé, presque d’un même souffle. Dès les premières images, nous avons compris qu’il ne sagissait pas seulement de travailler côte à côte, mais que le projet lui-même appelait cette dualité. Ce n’était pas un choix pragmatique, mais une nécessité intérieure.
Le diptyque n’est pas la juxtaposition de deux images: il est la mise en tension de deux regards, la trace d’un dialogue invisible qui ouvre l’espace vers une troisième dimension. Dans cette forme, nous avons trouvé le miroir exact de notre travail commun : deux écritures visuelles qui, loin de s’opposer, se répondent et se déploient.
Le commun n’est pas ici une fusion. Chacun garde sa voix, son accent, sa manière de voir. Mais de cette différence naît un champ plus vaste, où l’image cesse d’appartenir à l’un ou à l’autre et devient un territoire partagé. Le diptyque est à la fois le témoin de cette complicité et le symbole de cette pluralité tenue ensemble.

Que souhaitez-vous transmettre à travers votre création commune ?

Ce que nous cherchons à transmettre, cest l’expérience de la multiplicité. Aucune personne ne se réduit à un seul visage, aucune présence ne se laisse enfermer dans une seule image. Le diptyque rend visible cette complexité : il montre que chaque être est double, traversé par ses ombres et ses lumières, ses fêlures et ses forces.
Au-delà du portrait individuel, nous voulons ouvrir un espace pour celui qui regarde. Entre les deux images, dans l’écart qu’elles dessinent, se loge un lieu de projection et de réflexion. C’est dans cet interstice que l’œuvre prend toute sa force : un miroir ouvert où chacun peut rencontrer sa propre part de multiplicité, d’altérité et d’inconnu.
Nous aimerions transmettre l’idée que toute identité est mouvante, multiple, jamais close. Qu’il n’existe pas de portrait définitif, mais seulement des visages en devenir. Nos diptyques sont des invitations à sentir que derrière chaque figure se cache une pluralité de possibles.
Ce que nous souhaitons transmettre, cest un élan vers une vision moins codifiée, plus fragile et plus vaste de l’humain — un lieu où l’intime rejoint l’universel, et où la photographie n’est plus seulement image, mais passage.